L'ACTUALITÉ DE LA VILLE DE NÎMES

L'ACTUALITÉ DE LA VILLE DE NÎMES

Le célèbre architecte britannique est le concepteur de Carré d’art, qui fête ses 30 ans d’existence en 2023. Entretien grand format exclusif pour Vivre Nîmes.

Vivre Nîmes : Il y a 30 ans, pourquoi avez-vous choisi de répondre au concours lancé pour la construction de ce nouveau musée d’art contemporain et de médiathèque à Nîmes ?

Norman Foster : L’idée du projet était celle du maire de l’époque, Jean Bousquet. Sa vision était de faire dialoguer Histoire et modernité et de revitaliser une ville méditerranéenne alors plutôt endormie. Face à la Maison Carrée, l’un des temples romains les mieux conservés au monde inscrit au Patrimoine mondial, se trouvait un parking sur le site de l’ancien théâtre, qui avait brûlé 40 ans plus tôt, ne laissant que les restes gravement marqués d’une façade. C’est sur ce site quelque peu abandonné que le Maire a vu l’opportunité d’une médiathèque, un nouveau « Carré d’Art », un bâtiment d’un tout nouveau genre.

Cette vue aérienne donne une impression trompeuse : la majeure partie du théâtre incendié est encore debout et ne paraît pas trop endommagée. En fait, les expertises montreront que la piètre qualité de ses matériaux de construction ne permet pas d’espérer une restauration. Il faudra donc, pour des raisons de sécurité, se résoudre à abattre pratiquement tout l’édifice, seule la colonnade subsistant jusqu’en 1987. © Ville de Nîmes, Musée archéologique

Nous étions l’un des 12 cabinets du monde entier invités à participer au concours de design. Quand ce concours a été annoncé, j’ai effectué un voyage de recherche, par moi-même, à Nîmes. En me promenant dans cette ville que je découvrais, j’ai été frappé par la richesse de la vie dans les rues, qu’il s’agisse d’un vernissage officiel sortant du musée local ou de rassemblements informels dans les cafés. J’ai vite compris que le projet avait le potentiel de devenir non seulement un bâtiment, mais aussi le catalyseur de la régénération de tout un quartier, en particulier la place de la Comédie (elle n’existe plus ndlr) qui se dressait alors devant la Maison Carrée.

Pour le concours, je me suis donc concentré sur la conception d’un bâtiment en intégrant son fonctionnement intérieur avec son apparence extérieure. Mais dès le début, j’ai pensé aussi au bâtiment dans le domaine public. Un bâtiment est une fusion de deux mondes : le monde intérieur privé et le monde extérieur public. C’est cette fusion, cette approche globale du contexte urbain qui a nourri ma réflexion. Et cela a trouvé l’adhésion du Maire.

Vous l’avez évoquée : pouvez-vous nous raconter votre première découverte de Nîmes ? Vos premiers ressentis sur la ville ?

Je garde un souvenir inoubliable de ma première visite à Nîmes, en 1984. J’étais un passionné de pilotage et j’avais pris l’avion seul de Londres à l’aéroport de Garons avec seulement un sac de voyage, un carnet de croquis et un appareil photo, et sans a priori sur les lieux. Après m’être enregistré à l’hôtel, je suis aussitôt parti marcher pendant des heures, tard dans la nuit, pour photographier des espaces, des bâtiments, des personnes et des événements.

« Je me suis levé aux premières lueurs du jour pour continuer mon exploration… »

Le lendemain, je me suis levé aux premières lueurs du jour pour continuer mon exploration… J’en suis revenu avec un bloc rempli de croquis et cinq ou six rouleaux de film 35 mm et de nombreuses pages de notes avec mes impressions sur le lieu, ses habitants et le site du nouveau bâtiment proposé, Carré d’Art.

Vers 1980. La place transformée en parking telle qu’elle existait avant le réaménagement contemporain lors de la construction de Carré d’art. ©  Ville de Nîmes, Archives municipales

En repensant à cette première visite, deux impressions reviennent sans cesse : la culture du lieu (la ville et son paysage environnant) et aussi une lumière particulière. Le tissu urbain dense de la ville est empreint de siècles d’Histoire, des arènes romaines aux Jardins de la Fontaine du XVIIIe siècle ; une Histoire qui prend vie grâce à son art, sa gastronomie et son vin des Costières. Mais j’ai été aussi particulièrement impressionné par la façon dont le fort soleil du sud pénétrait dans les cours des vieilles maisons et des hôtels particuliers, offrant à la fois un répit de la chaleur et de l’éclairage aux espaces intérieurs. Dans mon esprit, les monuments et les rues de Nîmes se présenteront toujours sous cet angle.

Comment est né le projet Carré d’art ? Pourquoi ces choix ?

Pour moi, c’était un projet bienvenu et inspirant. Dix ans plus tôt, pour notre Centre des Arts visuels de l’université d’East Anglia, au Royaume-Uni, j’avais cherché à démontrer que les espaces d’exposition des œuvres d’art et ceux d’enseignement de l’Histoire de l’art pouvaient s’intégrer sous un même toit plutôt que dans un bâtiment séparé, chacun pour sa spécialité. J’avais aussi une dette personnelle envers les bibliothèques de ma jeunesse. Mes souvenirs à Manchester sont remplis d’images des bibliothèques où j’allais enfant, puis plus tard lorsque j’étais étudiant à l’université. C’est dans une bibliothèque, adolescent, que j’ai découvert Le Corbusier et Frank Lloyd Wright…

« L’inspiration vient de l’architecture traditionnelle de Nîmes »

Notre intervention à Nîmes s’étend de la conception de Carré d’Art jusqu’aux moindres détails du pavage de la place qui lui fait face : le bâtiment et son écrin ont été pensés ensemble. Notre programme de design urbain a étendu l’influence du bâtiment bien au-delà de son seul site. Bien qu’il s’agisse d’une commande ultérieure, l’idée a été suggérée dans mes premiers croquis soumis au moment du concours. La place – qui était autrefois jonchée de voitures garées, de routes de tous côtés et d’un cordon de grilles métalliques autour du temple – a été totalement transformée ; elle a été ouverte et rendu aux piétons.

Cet aspect social de la place extérieure trouve également son équivalent à l’intérieur du bâtiment, qui est un espace vertical, doté de terrasses avec des marches et plus proche, dans son esprit, d’une cour. L’inspiration vient de l’architecture traditionnelle de Nîmes, notamment de l’Hôtel de Ville avec son aire ouverte centrale et son escalier généreux.

Début des travaux de construction du Carré d’art, cliché du 26 juillet 1988. Les travaux ont duré 5 ans à partir de 1988. L’inauguration a eu lieu le 7 mai 1993. © Ville de Nîmes, Direction de la construction

En sortant de l’espace central, il est possible de découvrir les parties distinctes qui composent la médiathèque. Ce sont les univers plus privés des galeries individuelles, des studios pour enfants, des bibliothèques de musique, vidéo, ordinateurs, livres ; et aussi des espaces de groupe ainsi que des zones de calme et de retraite. Le bâtiment est comme une ville en miniature où le nouveau rencontre toujours l’ancien.

Devoir bâtir juste en face de la Maison Carrée, était-ce intimidant ou motivant ?

Tout à fait motivant ! J’ai adoré m’imprégner du quartier ; d’ailleurs, les détails vus lors de mes premières promenades et retranscrits dans mes croquis ont trouvé leur place dans la conception finale. Même si le schéma a évolué au fil du temps pour refléter les ingrédients traditionnels des marches et des cours propres à cette partie de la France. Nous ne voulions pas copier ces traditions à la lettre, mais capturer quelque chose de leur esprit et laisser cela éclairer le design.

Aujourd’hui, le cœur du bâtiment est animé par la lumière et un escalier en cascade (un escalier de verre qui laisse passer la lumière) qui fait à la fois référence au quartier et aux marches menant à la Maison Carrée voisine. De même, la décision de créer une « cour » au cœur du bâtiment rappelle, à sa manière, une grande partie de l’architecture historique de Nîmes, dans laquelle des bâtiments assez profonds dans les îlots sont traversés par des cours individuelles.

« Il faut toujours être respectueux de l’environnement et de son héritage »

La présence d’un monument ancien, comme la Maison Carrée, à proximité du site n’est pas intimidante, mais construire dans un contexte historique impose une grande responsabilité au concepteur : il faut toujours être respectueux de l’environnement et de son héritage, et travailler avec l’Histoire pour trouver une solution contemporaine. Il n’existe pas d’approche type pour cela, chaque projet est une réponse à un ensemble spécifique de conditions.

La Maison Carrée, inscrite au Patrimoine mondial de l’Unesco, face à Carré d’art. © Ville de Nîmes, Stéphane Ramillon

Dans un croquis, que j’ai réalisé devant le jury lors de la présentation du concours, j’ai tracé une ligne autour de l’emplacement du nouveau bâtiment. J’ai ajouté une légende disant « ce n’est pas le site » et à la place, j’ai tracé une autre ligne autour de tout le carré avec une autre légende disant « ceci est le site ». De cette façon, la Maison Carrée était vraiment le catalyseur de la conception : tout concernait le domaine urbain entre les deux bâtiments, avec une sensibilité à l’esprit du lieu.

Ainsi, bien que matériellement très différente, la forme générale de Carré d’Art s’inspire des proportions et du portique du monument romain, et la majorité du bâtiment est enterrée afin de respecter l’horizon de son quartier historique.

Une fois Carré d’Art terminé, l’un de mes architectes sur le projet a réalisé un dessin pour comparer ses proportions avec celles de la Maison Carrée, ce qui a révélé une relation de proportionnalité très étroite. Plus tard, on a suggéré que nous avions élaboré un système proportionnel basé sur la Maison Carrée, mais cela n’a pas été le cas. Cela révèle peut-être une compréhension plus intuitive de la nature du temple romain pour permettre un dialogue créatif avec lui…

La Maison Carrée vue depuis le hall de Carré d’art. Un dialogue architectural de 2000 ans. © Ville de Nîmes
Avec trois décennies de recul, quel regard portez-vous aujourd’hui sur votre Carré d’Art ? Que feriez-vous différemment ?

La conception flexible du Carré d’Art (avec de grandes portées et des noyaux décalés) et sa structure en béton durable ont permis au bâtiment d’évoluer avec sa ville au cours des 30 dernières années. En 2017, un quart de siècle après son ouverture, nous avons travaillé avec la Ville de Nîmes pour moderniser des éléments du bâtiment. Mon cabinet a agi en tant que gardien de la conception originale, pour garantir que le musée conserve son caractère distinctif, tout en améliorant l’efficacité énergétique, l’accessibilité pour tous et en modernisant certaines installations pour répondre aux exigences actuelles.

« L’adaptabilité est essentielle si l’on veut des bâtiments durables »

Tout comme le projet original, la rénovation a été hautement collaborative et nos interventions structurelles soigneusement étudiées (y compris un nouveau système de ventilation naturelle) ont amélioré l’efficacité énergétique du bâtiment et réduit sa consommation d’énergie de plus de 30%. Dans les bibliothèques, de nouvelles présentations ont été développées en réponse à la manière dont les utilisateurs d’aujourd’hui préfèrent travailler, écouter de la musique, accéder à des documents en ligne, étudier et se détendre.

Les nouvelles dispositions spatiales garantissent que ces sections de la bibliothèque sont immédiatement compréhensibles et faciles à utiliser. Tirant les leçons de mon expérience en tant que commissaire de « Moving », nous avons aussi amené des pièces de la collection étendue du musée dans le hall et dans l’escalier principal, pour revigorer le cœur du bâtiment.

D’important travaux de rénovation ont été réalisés en 2017, permettant de réduire la consommation énergétique du bâtiment d’environ 30%. © Ville de Nîmes, Stéphane Ramillon

Lors de la conception, l’adaptabilité est essentielle si l’on veut des bâtiments durables. Ils doivent pouvoir évoluer, s’adapter à une gamme d’exigences fonctionnelles et répondre aux besoins des générations futures. Une conception flexible et évolutive prolonge la durée de vie de l’environnement bâti et a le potentiel de réduire considérablement les émissions de carbone.

Carré d’Art est également un exemple de l’importance de prendre soin des bâtiments existants et d’investir dans ceux-ci, longtemps après la coupure du ruban. Un bon entretien et des rénovations sensibles sont intrinsèquement durables. Ils sont essentiels pour garantir l’efficacité énergétique d’un projet et éliminent le besoin d’interventions majeures ou la construction de bâtiments nouveaux.

Aujourd’hui, quelle est votre actualité ? Quels sont vos projets ?

Je travaille plus que jamais ! Avec mes partenaires, on mène différents projets architecturaux à travers le monde et j’interviens aussi dans d’autres rôles. Par exemple, la Fondation Norman Foster, dont je suis président, a récemment lancé le Norman Foster institute (NFI), qui propose des cours éducatifs axés sur le développement durable des villes.

Cet Institut, à l’heure du changement climatique, s’adresse à ceux qui souhaitent, par la pratique ou l’éducation, améliorer la qualité de vie dans les villes du monde entier. Des équipes – composées à la fois de représentants des villes et de membres du NFI – se sont déjà réunies à Athènes, Bilbao et Saint-Marin, trois des éminentes villes pilotes sélectionnées pour participer à notre prochain programme de villes durables, qui devrait débuter en janvier 2024.

« J’ai contribué à la Déclaration de Saint-Marin »

Parallèlement, la Fondation (reconnue comme Centre d’excellence des Nations unies) poursuit sa mission visant à aider les jeunes générations à anticiper l’avenir et à les préparer à devenir de potentiels dirigeants. Ses ateliers rassemblent généralement des universitaires du monde entier et des experts dans les domaines de l’écologie, de l’économie, de l’urbanisme, du design, de l’architecture, de la politique et des médias.

La Fondation a récemment présenté la série de masterclass « Sur la crise climatique » et la commission actuelle la plus importante de son unité d’architecture, de conception et de technologie travaille, à titre bénévole, sur un plan pour la régénération d’après-guerre de Kharkiv, en Ukraine.

Norman Foster accueille aujourd’hui les visiteurs de la Maison Carrée, dans la nouvelle scénographie développée au printemps dernier à l’intérieur de la cella antique restaurée. © Ville de Nîmes, Dominique Marck

J’ai un rôle personnel en tant que défenseur du Forum des maires de la CEE-ONU, qui encourage les maires et les dirigeants civiques d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord à mettre en commun leurs connaissances et leur expérience. Je fais également la promotion des 17 objectifs de développement durable de l’ONU en tant que force positive en matière de conception environnementale et j’ai accepté l’invitation du Secrétaire général à prendre la parole devant l’Assemblée générale des Nations Unies à New York sur l’importance de la planification urbaine et la promotion du rôle des professions du design dans ce domaine.

Par la suite, à Saint-Marin avec une petite équipe de la Fondation, j’ai contribué au lancement d’une Déclaration des Nations Unies sur les principes durables lors de la 83e session du Comité de la CEE-ONU sur le développement urbain, le logement et la gestion des terres – désormais connue dans le monde entier sous le nom de Déclaration de Saint-Marin.

Norman Foster : « Je travaille plus que jamais ! » © Manolo Yllera

Bio express

Norman Foster, né à Manchester en 1935, s’est fait seul. Il a quitté l’école à 16 ans avant de retourner à l’université, après
un passage dans la Royal Air Force, en travaillant pour payer ses études.

Après un Master’s degree en architecture obtenu à Yale (USA) grâce à une bourse, il crée son cabinet Foster + Partners à Londres à la fin des années 60. Anobli par la reine en 1990, prix Pritzker en 1999, il se distingue par sa maîtrise du verre et de l’acier, sa capacité à trouver des solutions techniques complexes et à bâtir « durable ».

Parmi ses réalisations phares : le nouveau Reichstag de Berlin (1999), le British museum (2000), le viaduc de Millau (2004), la Hearst Tower de New-York (premier building écolo, 2006) ou encore le siège d’Apple en Californie (2017).

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