Littérature :
Jean Carrière et
la tempête du Goncourt
Il y a 50 ans, le 21 novembre 1972, le Nîmois Jean Carrière recevait le prestigieux Prix Goncourt pour son roman L’Épervier de Maheux, succès éditorial phénoménal. Cette récompense bouleverse la vie de l’auteur. Pour célébrer cet anniversaire, la Ville de Nîmes propose une dizaine d’événements. Retour sur la vie d’un écrivain écorché vif.
« Un homme qui part de la terre où il vit, retrouve le monde entier », clame avec sa voix grave Jean Carrière lorsqu’il reçoit le Prix Goncourt pour son roman L’Épervier de Maheux le 21 novembre 1972. Si le second roman du Nîmois dépeint la dureté de la vie cévenole, avec son personnage d’Abel, dernier habitant du hameau de Maheux, il décrit surtout la vacuité de la vie en général. « Jean Carrière est un humaniste et pas du tout un écrivain régionaliste comme certains le pensent. Il était un philosophe universel de la nature aride », affirme Daniel-Jean Valade, membre de l’Académie de Nîmes et Conseiller délégué à l’enseignement culturel à la Ville de Nîmes.
Gloire brutale
Cinquante ans après sa publication, L’Épervier de Maheux reste un monument de la littérature française. Écoulé à près de deux millions d’exemplaires, ce roman est le livre le plus vendu de l’histoire des prix Goncourt au moment de sa publication. « Un succès inattendu pour Carrière qui n’avait fait qu’un seul livre », raconte Patrick Cabanel, historien alésien, qui signe l’ouvrage Enquête sur un roman : L’Épervier de Maheux sorti en juillet. Une gloire brutale qui plonge le Nîmois, alors âgé de 44 ans, dans une profonde dépression. « Le Goncourt a été la crête d’une très longue tempête. Cette énorme crête n’a qu’amplifié ce qui allait déjà mal dans ma vie », explique l’auteur lui-même sur le plateau de l’émission de Bernard Pivot, Apostrophes, en 1987.
Enfance rêvée
Jean Carrière est né à Nîmes en 1928. Son père était chef d’orchestre, sa mère grande pianiste et son grand-père maternel tenait un magasin de musique dans la Grand Rue. « Il vit une enfance heureuse, cultivée et bourgeoise », confie Emmanuel Carrière, fils de l’écrivain et Conseiller délégué aux sports dans les quartiers, aux sports scolaires et universitaires. « Il avait une complicité extraordinaire avec son père. Il aimait arpenter avec lui les chemins de la garrigue nîmoise. Mon père était d’ailleurs fasciné par la garrigue et les hauts plateaux cévenols. Ces lieux arides et soufflés par le vent. Pour lui, ces paysages étaient comme le claquement des voiles d’un bateau. C’était son appel du large. » Une enfance que l’écrivain qualifie lui-même de « magique » dont il sera à jamais nostalgique.
Le prix du Goncourt
Féru de musique, notamment de jazz, amoureux du cinéma et de la littérature américaine (il adore William Faulkner), disciple de Jean Giono, Jean Carrière est d’abord critique musical puis chroniqueur littéraire. En 1967, il sort son premier roman, Retour à Uzès, qui connaît une certaine reconnaissance auprès du milieu littéraire. Un succès confirmé avec son Épervier de Maheux qui lui vaut donc le Goncourt. Un bonheur de courte durée. Un mois après sa distinction, son père meurt écrasé par une voiture entre Nîmes et Alès. « Quand je revois les séquences prises à l’instant où le succès s’abattait sur moi, explique l’auteur au journal Le Monde en 2003, le malaise que je ressens me montre quelle erreur j’ai commise en ne restant pas terré au fin fond de mon Sud. » Jean Carrière entretiendra le reste de sa vie un sentiment de culpabilité vis-à-vis de la mort de son père. « Il était en signature loin de chez lui le jour où son père est renversé. Il fait le lien entre le Goncourt et ce tragique accident », ajoute l’historien Patrick Cabanel. S’ensuivent une dépression et une perte d’inspiration. Une descente aux enfers décrite dans son roman autobiographique Le Prix du Goncourt (1987).
Nîmes au cœur
« Mon père était porté par une dualité. Il avait un côté sombre et fragile. L’écriture était sa béquille. En revanche, quand ça allait bien, il était lumineux, un superbe conteur », se remémore Emmanuel Carrière. Enfance créatrice, omniprésence de la nature à la fois belle et cruelle, et réflexion philosophique sur le destin de l’homme sont au cœur de l’œuvre de Jean Carrière. Ce dernier s’éteint à Nîmes en 2005 à 76 ans. « Un jour, ensemble, nous sommes passés par la rue Benoît Malon, mon père voit alors la Tour Magne au loin. Il fond en larmes. Il avait Nîmes dans le cœur mais aussi une appréhension à revenir dans cette ville qui lui rappelait son enfance idyllique. Toujours cette dualité… Il est né à Nîmes, il est mort à Nîmes. La boucle était bouclée », termine Emmanuel Carrière.
« La garrigue et les hauts plateaux cévenols permettaient à sa plume de s’exprimer. »
Emmanuel Carrière, fils de Jean Carrière et Conseiller délégué à la Ville de Nîmes.
Agenda
Avec « Nîmes Célèbre Jean Carrière », la Ville, en collaboration avec le musicien Raphaël Lemonnier, célèbre l’écrivain. Voici les événements :
1. Exposition photos « Jean Carrière, l’Épervier de Maheux » par Stéphane Barbier
Jeudi 3 novembre vernissage à 18h30. Lecture musicale avec Patrice Bornand (lecture) et Raphaël Lemonnier (piano) à 19h à la Maison de la Région.
2. Pièce de théâtre Le prix d’un Goncourt adaptée du roman éponyme.
Vendredi 4 et samedi 5 novembre à 20h au Théâtre Christian Liger.
3. Vernissage de l’exposition « Nîmes et le Goncourt : 1892 – 1942 – 1972 » avec lecture théâtralisée d’extraits de L’Épervier de Maheux de Carrière et Pareils à des enfants de Marc Bernard, les deux prix Goncourt nîmois.
Mercredi 16 novembre à 18h30 à Carré d’Art. Expo visible jusqu’au 29 janvier.
4. Balade littéraire dans les librairies, avec des lectures, par trois comédiens, d’extraits de romans de Jean Carrière.
Samedi 19 novembre à 11h à la librairie Aux lettres de mon Moulin. À 16h30 à la Librairie Goyard. À 18h à la librairie Teissier.
5. Conférence et lecture musicale d’extraits de L’Épervier de Maheux de Jean Carrière et Pareils à des enfants de Marc Bernard, l’autre Goncourt nîmois.
Samedi 26 novembre à 10h30 à la Médiathèque Marc Bernard.
6. « À la rencontre de Jean Carrière », lecture musicale.
Samedi 26 novembre à 14h30 aux Archives Départementales du Gard.
7. Lecture-concert sur des extraits de Jean Carrière et Jean Giono sur le thème de l’homme et la nature.
Mardi 29 novembre à 14h30 à la médiathèque CHU Serre Cavalier.
8. Lecture musicale avec des extraits de textes de Jean Carrière et Jean Giono.
Vendredi 2 décembre à 15h à la Maison de quartier Route d’Arles.
9. Projection Les orphelins de l’alternative, film de Claude Fayard sur un texte de Jean Carrière.
Vendredi 2 décembre à 18h30 à Carré d’Art.
10. Lecture-concert : « Jean Carrière, la musique et le verbe »
Samedi 3 décembre à 16h à Carré d’Art.