DOSSIER
Reconstruire sans des tours
La rénovation des quartiers populaires ne se réduit pas à des chiffres ou à des opérations d’aménagements. C’est avant tout un projet de cohésion sociale, qui implique de nombreux bouleversements pour les habitants, appelés pour certains à quitter leur logement et à se projeter dans une nouvelle vie, ailleurs. Comment sont-ils accompagnés ? Quelles sont les actions mises en place pour les aider à aborder ces changements ?
Les familles concernées par les opérations
Une approche reconnue par l’ANRU
C’est la partie active et invisible actuellement à l’œuvre du renouvellement urbain. Si un seul immeuble (l’emblématique Boule d’Or, et quelques garages) est pour l’instant tombé à terre, une vaste opération de relogement est amorcée depuis plusieurs années. En 2022, c’est ainsi le tour des immeubles Jean Perrin, Avogadro à Valdegour, Jean Moulin et Bruguier au Chemin-Bas d’Avignon, voire du Pollux à Pissevin. Vides pour la plupart, ils sont aussi l’arbre qui cachent la forêt : les relogements des autres programmes s’enchaînent à vive allure, tout en restant au plus près des attentes de personnes relogées. Quitte à prendre le temps pour trouver la bonne solution pour chacun. En relation étroite avec les bailleurs « démolisseurs » (Habitat du Gard, Un toit pour tous, Erilia ), la cellule de relogement de Nîmes Métropole, installée dans les quartiers au sein des Maisons de Projets de la Ville et de ses centres socioculturels, met tout en œuvre pour accompagner les habitants dans leur changement de vie. Une action reconnue pour son efficacité et son travail de terrain par l’ANRU.
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logements sociaux à démolir soit
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barres et tours
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Entre 2018 et 2024 :
Environ 800 familles à reloger
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Relogeurs et relogés : ils témoignent
Déménager parce que son immeuble va disparaître n’est pas toujours simple à vivre. Comment cela se passe-t-il ? Qu’en pensent les principaux intéressés ? On fait le point.
Les tours Avogadro, Jean Perrin et Pythagore vont progressivement s’effacer du paysage.
« On est parfois en contact durant trois ans avec une même famille : de l’écoute des besoins à la visite des logements proposés, du déménagement à l’installation et ensuite à la vie sur place, nous nouons une véritable relation. On est à 100 % dans l’humain », expliquent les quatre chargés de relogement de Nîmes Métropole. Après une enquête sociale à domicile, pour écouter et analyser ce qui convient le mieux à la famille, des propositions sont faites pour trouver la meilleure solution de relogement. L’ensemble des bailleurs se consultent entre eux pour faciliter ces opérations. Des commissions de relogement tous les 2 mois sont organisées. Les logements proposés sont visités ensemble. D’un point de vue légal, les locataires peuvent recevoir jusqu’à trois propositions de relogement. « Nous ne brusquons pas les départs, il faut que le choix soit mûrement réfléchi, et que le relogement soit réussi », expose Fatima Ben Salah, chargée de relogement sur les quartiers Est. Hors de question de privilégier un calendrier de démolition sur un relogement. Transport, coût de la vie, capacité de financement : tout est pris en compte, pour éviter le coup de tête. La décision prise, une aide est versée pour faire face aux frais (ouvertures de compteurs…) par le bailleur social qui prend également en charge le déménagement. Le contact se noue durablement : « Une procédure s’étale sur plusieurs années, on connaît très bien la famille et on garde le contact après son relogement. »
DES INTERLOCUTEURS AUX PETITS SOINS
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Résidente pendant dix ans au Pollux à Pissevin, Hélène, qui souffre de problèmes de santé, y vivait au 9è étage, subissant notamment les pannes d’ascenseur. Relogée par l’agence Urbanis, prestataire du bailleur Un toit pour tous, elle vit désormais près des allées Jean Jaurès. Encore dans les cartons, elle tente de s’adapter à ce changement. Elle a été accompagnée de bout en bout. « On a pris le temps de m’écouter, de connaître mes besoins. Toujours polis, à l’écoute, mes interlocuteurs sont adorables et m’aident dans toutes mes démarches. Ils m’ont soutenue tout le long et c’est grâce à eux que j’ai réussi à partir. »
« J’avais hâte de partir, pour proposer un meilleur avenir à mes enfants qui ont changé d’école et de collège. »
Driss,
parti d’Avogadro pour le mas de Vignoles
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« Mes enfants voulaient que l’on quitte Pissevin, mais mes moyens sont limités. J’ai donc quitté Bassano pour la résidence Corot, requalifiée. »
Naima
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« Je n’avais pas envie de quitter le quartier où je vis depuis mon enfance : j’y ai mes repères, ma famille. C’est un lieu où l’on entend les enfants jouer.
Je préfère cette ambiance au bruit des voitures. »
Sahib,
parti d’Avogadro pour Galilée
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Du quartier au village
Parents de deux enfants, Aldïja et son mari ont quitté le Chemin-Bas d’Avignon où ils vivaient depuis dix ans. Leur immeuble, la résidence Jean Moulin, doit faire l’objet d’une démolition cet été, pour permettre la création d’une nouvelle rue d’ici 2024. Lui avait hâte « pour s’extraire du contexte d’insécurité » ; elle n’avait pas spécialement envie de quitter un endroit où elle ressentait « une entraide, une solidarité des jeunes envers les personnes âgées ». Contrairement à leurs voisins, tous désireux de rester au Chemin-Bas d’Avignon, ils ont fait le pari de s’installer dans un village de l’agglomération : Saint-Gervasy : « Nous disposons d’un logement neuf, fonctionnel. C’est un véritable bonheur, on respire », glisse Aldïja, non sans reconnaître que son nouveau mode de vie a un prix : un loyer et des charges plus élevés, et des temps de transports plus longs et plus coûteux.
Quelques rues plus loin, et tout change
« Il fallait être patient. Nous avons examiné plusieurs propositions mais nous sommes heureux d’avoir un intérieur plus confortable. C’est une délivrance », confie Siham, qui a quitté la résidence Ronsard (Mas de Mingue) dont la démolition est programmée ces prochaines années. Elle n’est pas allée bien loin : elle loge désormais avec sa famille rue Jacques Baby. « J’ai l’impression d’être ailleurs, c’est plus calme », se réjouit-elle, heureuse également de trouver un logement fonctionnel. « À six, nous vivions dans 63 m2 sans balcon. Ma cuisine était minuscule, je n’avais pas pu installer un lave-vaisselle faute de place, privilégiant le sèche-linge. » Cette maman de jumeaux apprécie aussi d’avoir troqué un 3e étage sans ascenseur pour un rez-de-chaussée, avec jardin. « L’accompagnement dont nous avons bénéficié est formidable : on nous a même donné les cartons pour le déménagement. »
Carole Solana
adjointe déléguée au logement social, à la solidarité et aux échanges intergénérationnels
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Comment se décident les relogements ?
Régulièrement a lieu une commission d’attribution dédiée aux relogements relatifs à la rénovation urbaine. On examine la capacité de la famille à s’adapter à un nouveau loyer, pour ne pas la mettre en difficulté. Certaines parfois refusent les logements proposés en raison d’une légère hausse de loyer, en comparaison de ceux, très bas, des vieux immeubles appelés à être démolis. Mais il faut prendre en considération les avantages du nouveau logement : moins de dépenses de chauffage et d’énergie,des places de parking attribuées, plus de confort…
Ces relogements sont-ils bien acceptés ?
Oui, car nous sommes vraiment à l’écoute et cherchons les meilleures solutions pour chaque famille. C’est un long travail que nous menons en étroite collaboration, avec Nîmes Métropole et les bailleurs. Ce sont souvent les personnes âgées qui ont le plus de mal à quitter un cadre de vie, même vétuste, car elles ont leurs habitudes, leurs repères. On prend vraiment le temps pour leur trouver une solution satisfaisante.
Des rendez-vous «pieds d’immeuble» sont organisés par le bailleur Erilia pour aller au contact des habitants de la barre Pythagore.
Mémoires de quartier
L’accompagnement vers la transformation du quartier, ce sont de multiples initiatives de la Ville pour conserver les récits de vie et aider chacun à s’approprier le changement.
Les sauts à l’élastique du haut de la tour Avogadro à Valdegour, comme lors de l’événement Turbul’ en Chap, resteront dans les annales.
Au contact des habitants
Les Maisons de projets, installées au cœur des quartiers, non seulement informent les habitants sur l’évolution des aménagements, mais aussi animent et organisent des ateliers auprès de divers publics. En janvier et février, des séances se sont ainsi déroulées dans les écoles de Pissevin et de Valdegour autour du nom des rues. Les élèves ont été initiés aux changements futurs, ont réalisé des fiches biographiques sur les personnages célèbres du nom des rues de Pissevin et se sont exprimés sur leur environnement. En juin 2021, ce sont des ateliers de co-construction des espaces publics qui ont été menés avec les habitants, pour définir les besoins et les souhaits, notamment en termes de stationnement et d’agréments (fontaines, coursives d’eau…).
Films, totems et bande dessinée
Au Mas de Mingue a été implantée une exposition sur chaque site en devenir. Des totems en bois présentent les transformations du lieu tout en permettant d’observer l’état actuel à travers une fenêtre, objet permettant d’ancrer dans le réel un futur parfois difficile à saisir. Un recueil de témoignages et une consultation ont été menés il y a un an dans le quartier, faisant émerger plusieurs propositions : associer les jeunes, les former pour réaliser des interviews d’habitants racontant le passé du quartier, puis d’en faire une BD qui pourrait devenir un objet accessible à tous.
Dans mon HLM
Du côté des bailleurs, on se préoccupe aussi d’accompagner les locataires. Habitat du Gard, lors de la requalification de la résidence Corot (Pissevin) il y a quelques années, a publié un recueil de photographies et de témoignages. À Valdegour, un projet de recueil de mémoires, initié par la société Erilia, va voir le jour cette année, avant que les derniers habitants ne quittent la barre Pythagore. « Notre objectif est de rendre hommage aux habitants qui ont eu un parcours de vie dans nos bâtiments », explique Isabelle Bayol, chef de projet renouvellement urbain. Des pieds d’immeubles sont également organisés régulièrement pour expliquer les changements en cours.
La tour Avogadro, construite en 1970, va être progressivement démantelée à partir du mois d’octobre.
Avogadro, symbole d’un changement d’époque
D’ici la fin de l’année, Avogadro, la plus haute tour de Nîmes, va commencer à disparaître.
C’est la deuxième du tour à avoir vu le jour à Valdegour, en 1970. Tout un symbole. Composée de 19 étages, haute de 162 mètres, elle est le point culminant de Nîmes, faisant pâlir de jalousie sa petite sœur romaine : de son toit, on peut apercevoir à 360 degrés autant les Pyrénées que les Alpes, et bien sûr la mer. Avec près de 100 logements, soit 400 à 500 habitants, c’était un véritable village.
Une vigie dans le paysage
Lorsque les « cités » de Nîmes ont été construites dans les années 60, la philosophie des grands ensembles consistait à réunir toutes les activités dans un même quartier. Des personnes de diverses professions s’y côtoyaient « Nous avions aussi des banquiers, des médecins qui vivaient là. Ces grands logements, bien exposés, étaient recherchés. Des fêtes foraines et votives animaient le quartier, c’était la belle époque », raconte Salah, gardien de l’immeuble depuis plusieurs décennies. Puis une forme de sectorisation sociale a contribué à ghettoïser l’endroit, regroupant ensemble des communautés nouvelles qui se sont succédé. Petit à petit, le défaut d’intégration a généré de l’exclusion (linguistique, scolaire, économique), de l’insécurité et du repli sur soi. Ici comme ailleurs, l’individualisme croissant de notre société a cassé progressivement les liens de voisinage et mis à mal le modèle d’origine. Si trois familles sont toujours présentes dans la tour Avogadro, cette dernière est condamnée : « On ne construit plus de tour comme cela désormais ; elles sont beaucoup plus difficile à entretenir et elles ne correspondent plus à ce que les familles attendent », explique Pierre Ferrero, Responsable de l’Agence de proximité d’Habitat du Gard.
À Pissevin, les élèves participent régulièrement à des ateliers organisés par la Ville via la Maison de projets.
« La population a vieilli : c’est souvent un arrachement pour les gens de quitter un lieu où ils ont vécu tant d’années. Ils ont besoin d’être accompagnés et rassurés. Pour redynamiser ce quartier, il faut une prise en compte globale : commerces, mobilité, emploi, formation, associations.Ce n’est pas qu’une question de bâti. »
Mohamed El Ambali,
président de l’Association Humanimes
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«Les Maisons de projets sont là pour écouter au quotidien, recueillir la parole des habitants. On leur parle de démolition, de transformation de leur cadre de vie, et cela bien souvent les inquiète, les stresse et c’est bien normal. Si réformer un quartier construit il y a soixante ans, en quatre à cinq ans dans l’urgence, prend du temps, il en faut aussi pour accompagner et aider chacun à se projeter dans l’avenir.»
Olivier Bonné,
Conseiller délégué au suivi de la rénovation urbaine
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LE SAVIEZ-VOUS ?
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Lorsqu’on démolissait les tours à l’explosif, il fallait non seulement évacuer tout le quartier mais aussi fermer l’autoroute A 9, face au risque d’accident par surprise. Désormais, on pratique la déconstruction : désamiantage puis grignotage du haut vers le bas, ce qui prend plusieurs mois. Le tri et le recyclage des matériaux sont également plus importants.