Histoire des épidémies
à Nîmes
Peste noire, choléra ou grippe espagnole : la population nîmoise fut confrontée à de nombreuses épidémies dans son histoire. À partir du XVe siècle, les autorités locales ébauchent des politiques sanitaires, qui évolueront au gré des croyances et connaissances scientifiques.
La Peste Noire de Ferdinand Pertus.
La peste (mot qui signifie « fléau » en latin) cause des ravages à Nîmes durant de nombreux siècles. En 300 ans, 31 épidémies, soit une moyenne d’une par décennie se succèdent au Moyen Age. La plus importante est la grande peste noire, qui emporte entre 30 à 50 % de la population du Languedoc, entre 1347 et 1350, et qui ravage l’Europe avec 30 millions de morts en deux ans seulement. Partie de Chine, elle accoste à Marseille en novembre 1347. Epargnées depuis longtemps des épidémies (la dernière pandémie remonte au VIe siècle), les populations tardent à agir pour se prémunir de ce fléau qui va se répéter très régulièrement, avec une ampleur et une virulence variable. En 1402, un observateur écrit que « Nîmes n’a pas conservé le 6e de ses habitants, et cela se voit à l’œil nu ». Au XVe siècle, la peste revient à Nîmes à plusieurs reprises. Les pestiférés sont recueillis à l’hôpital saint Antoine, édifié près de l’actuelle porte de France grâce à l’aide d’un riche Nîmois, le sieur Ruffi. A la Renaissance, de nouvelles vagues submergent à nouveau Nîmes : 1542, 1582, 1629, 1640, 1649, où elle arrive par la foire de Beaucaire… Clin d’œil : en 1579, pour échapper à la contagion, tous les consuls ont quitté la Ville pour se mettre à l’abri dans les garrigues. Tous, sauf un : le consul Fournier. En revanche, la grande peste provençale de 1720 épargne Nîmes qui a très vite pris des mesures de protection alors qu’elle décime Marseille, Aix et Arles.
Naissance d’une politique sanitaire
Face aux épidémies, la Ville avait développé un arsenal de mesures visant à protéger la population. « Quand le Gévaudan, Arles et Alès sont touchés par la peste arrivant de Marseille en 1720, Nîmes fait figure d’exception : elle s’en prémunit avec succès. » indique Emma Ringuelet*. Les mesures sont édictées par un conseil sanitaire nommé bureau de santé. Il s’agit avant tout d’isoler la ville du danger extérieur : rehaussement des murailles, laisser passer sur certificat de santé, tours de garde aux portes de la ville, interdiction de loger des non nîmois, fermeture des chemins par des murs de pierre. Une quarantaine est instituée pour les étoffes qui doivent être entreposées et mises à l’évent à l’extérieur de la ville. Les Nîmois doivent éviter de posséder lapins et pigeons, de déverser le fumier dans les rues. Dès la première alerte sont faites des provisions de blé, de charbon et de bois. Les malades quant à eux sont mis en quarantaine chez eux. Rues et maisons sont fumigées, tandis que les rassemblements et les loisirs sont interdits.
Au XIXe, trois mois de choléra
Outre la tuberculose et la variole, l’épidémie de Choléra de 1835 est la plus importante à Nîmes depuis les pestes. Née au Bengale, elle est importée par les colporteurs : Marseille, Toulon, Aix, puis Arles sont durement touchés. Moins à Nîmes où elle arrive le 25 juillet, avant de s’éteindre le 15 octobre, causant 215 décès. La maladie révèle les disparités sociales au début de la monarchie de juillet : la population ouvrière textile et agricole des quartiers Carmes et enclos Rey est la cible de l’épidémie qui épargne les quartiers de la Fontaine. Opium, huile de ricin, saignées… sont vainement tentées par des médecins impuissants. Habitat à maisons basses, fumier dans les cours, Agau à ciel ouvert sont les vecteurs de la propagation, mais l’on attribue à l’air et au sirocco la responsabilité du mal selon « la théorie des miasmes ». Il faudra attendre les travaux du médecin britannique John Snow pour déterminer le rôle de l’eau dans la transmission de la maladie. L’aménagement du tout à l’égout devient ensuite une priorité publique et l’Agau sera recouvert, les boulevards ré-aménagés. Le choléra réapparaît à Nîmes en 1849 (185 décès), en 1853 (226 décès) et en 1865 avec une virulence amoindrie. Le dernier épisode en 1884 ne fait aucune victime.
La grippe « espagnole »
Originaire du Kansas, la pandémie fit entre 50 et 100 millions de morts dans le monde. Son agent pathogène alors inconnu frappe brutalement des adultes robustes et en pleine santé. Henri Roux, dans La guerre vue de Nîmes, décrit les difficultés économiques des Nîmois à l’été 1918, frappés de surcroît par cette épidémie « qui atteint un grand nombre de personne et fait même de nombreuses victimes » notamment « parmi les jeunes ». L’épidémie sévit de juillet à fin octobre, faisant jusqu’à une trentaine de morts par jour. Le préfet ferme écoles, théâtres et cinémas jusqu’au 11 novembre, date de la réouverture.
*(Emma Ringuelet, « Nîmes face à la peste de 1720 », dans Robert Chamboredon (dir.), Hygiène et santé en Bas-Languedoc oriental, 2019).
Partir « vite, loin et longtemps » était le mot d’ordre au Moyen-Âge lorsque réapparaissaitla peste.
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L’hôpital Ruffi (aujourd’hui Chambre de Commerce et d’Industrie) a vécu bien des épisodes épidémiques.
Sylvain Olivier,
maître de conférences en histoire moderne à l’université Unîmes.
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Que peut-on dire des épidémies qui ont touché Nîmes depuis des siècles ?
Même s’il est difficile d’avoir des chiffres sur les ravages et la nature précise de celles-ci au Moyen Age et dans les siècles suivants, on sait que la ville a dû faire face à des épidémies de peste récurrentes qui ont causé de nombreux décès. D’une manière générale, les populations pauvres étaient les plus touchées : promiscuité, hygiène, impossibilité de se mettre au vert, comme ce fut le cas des habitants des Arènes qui y furent murés en 1649 pendant la quarantaine, après avoir eu 3 jours pour quitter les lieux.
Et concernant les mesures de protection ?
Les archives indiquent la mise en place de nombreuses mesures de protection : tours de garde, quarantaines, laisser-passers avec un billet de santé qui mentionnait votre provenance. Au XVIIIe siècle, un système de cordon sanitaire organisé par l’Etat, notamment le long du Rhône, renforce ces mesures. C’est sans doute la raison pour laquelle la peste provençale de 1720 n’a pas atteint Nîmes, bien qu’elle ait touché la Lozère et la région d’Alès. Mais surtout, quand une peste est annoncée à proximité, on confine la population nîmoise pendant de longs mois en limitant la circulation des hommes et des marchandises. Cela suscite un coup d’arrêt à l’activité économique ainsi que des tensions sociales d’autant plus fortes que les autorités de la ville se sont enfuies à la campagne, du moins pour les notables qui ont les moyens de s’y trouver un pied-à-terre loin de la promiscuité urbaine.